Un petit patrimoine local : les fontaines Dragor et les repères de nivellement
Trois anciennes fontaines publiques d’un modèle identique, avec un dégorgeoir en forme de tête de lion, ont été conservées rue des Alouettes, rue des Pensées et rue du général Leclerc.
Elles sont hors service depuis une soixantaine d’années et ont perdu leurs manivelles (et l’une d’elles son couvercle), mais elles témoignent de l’époque où il n’y avait pas d’eau courante dans les maisons du quartier. À l’origine, 26 fontaines alimentaient en eau les trois lotissements Petite Bretagne, Paris-Cottage et Paris-Village, ouverts en 1922-1923 au sud-est de la commune. La commune payait un employé pour les entretenir (M. Prioux, puis M. Clémenceau). Les 16 exemplaires de Paris-Cottage étaient tous de la marque Dragor, bien visible sur le côté, ainsi que la mention « Be SGDG », qui signifie « breveté sans garantie du gouvernement ». Le brevet en question, n° 506 764, demandé le 29 novembre 1919 par un certain Henri Legou, lui a été délivré le 4 juin 1920. Son principe est simple : des godets sont fixés à intervalles réguliers à un câble sans fin très souple ; grâce à la manivelle et à la poulie, ils descendent tour à tour au fond du puits, où ils se remplissent d’eau, qu’ils déversent ensuite dans la partie haute de la fontaine, d’où elle s’écoule par la gueule du lion. Henri Legou, lampiste né le 8 septembre 1877 à Château-du-Loir dans la Sarthe, s’établit à la fin de la Grande Guerre au Mans. Le 28 novembre 1919, cet inventeur dépose la marque « Dragor » pour commercialiser ses pompes à godets, près de 3 mois après avoir déposé « Alma » pour une pompe à air comprimé. Il fonde ensuite la Société anonyme des établissements des élévateurs d’eau Dragor et Alma, au Mans. L’entreprise fabrique plusieurs modèles de pompes à eau, qu’elles installent chez les clients, tel au n° 22 à Chevilly-Larue. À la suite de son expropriation, elle déménage autour de 1960 au Petit-Quevilly en Seine-Maritime ; elle cesse son activité en 1968.
Deux anciens repères de nivellement subsistent au bord de la D160, sur une borne devant la médiathèque et sur l’un des piliers du portail du cimetière communal. Deux autres existaient, au bout de l’avenue du Président Roosevelt et sur le mur de l’enclos de l’église Sainte- Colombe. Ces médaillons métalliques comportent le texte suivant : «Nivellement gal de la France – Département de la Seine », « N° 588 » pour celui de la médiathèque, « N° 590 » pour celui du cimetière ; un disque central indique l’altitude en mètres, respectivement : « 88,902 » et « 88,79 ». Le nivellement général de la France est lancé par circulaire du 15 juillet 1857 du ministre des Travaux publics, qui en confie l’exécution à l’ingénieur Paul Adrien Bourdalouë. Il s’agit d’établir d’une part un plan unique horizontal de comparaison pour fixer les altitudes (le zéro étant fixé au niveau moyen de la Méditerranée au fort Saint-Jean à Marseille) et d’autre part un premier réseau de repères dans toute la France, achevé en 1863. Celui-ci doit servir de base à un réseau plus complet à mettre en œuvre ensuite dans chaque département. Ces opérations visent notamment à préciser le relief en rajoutant les courbes de niveau sur les cartes d’état-major et dans les atlas départementaux regroupant les cartes communales au 1/5000e. Dans le département de la Seine (hors Paris, qui est traité à part), le projet est lancé en décembre 1876. Les délibérations du Conseil général des 31 janvier et 29 novembre 1878 en fixent les modalités. La pose des repères et la révision de l’atlas départemental sont achevées en 1883. Un catalogue des repères est alors publié ; il montre qu’ils sont fixés le long des routes nationales et départementales, souvent sur les bornes kilométriques, et qu’ils sont numérotés dans l’ordre séquentiel des routes. Ainsi, les 4 repères situés à Chevilly-Larue le long de la route n° 67 de Choisy à Versailles (actuelle D160) sont numérotés 587 à 590, les deux premiers étant fixés sur les bornes des kilomètres n° 3 et 4. Le disque central avec l’altitude est changé par la suite (sauf pour le repère de la médiathèque), le nivellement plus précis établi de 1884 à 1922 par Charles Lallemand ayant un « zéro normal » situé 71cm plus bas que le « zéro Bourdalouë ». Le repère du cimetière est toujours en service ; il est immatriculé par l’IGN sous la référence « P.A.C3-90 », mais avec son altitude recalculée en 1972 : 89,140 m.
Marc Ellenberger, archiviste municipal