Les deux colonies scolaires des enfants de l’Yser de Chevilly (1915-1919) [2]

La tâche est lourde pour Achille Decock, directeur de la colonie scolaire de garçons de Chevilly, et pour les deux religieuses directrices successives de celle des filles, Mathilde Vanevillic (Mère Xavier) et Virginie Comeyne : budget, personnel, vie scolaire et religieuse, approvisionnement, santé morale et physique des petits réfugiés ... La plupart de ces enfants, qui vivaient précairement près du front en Belgique non occupée, étaient arrivés à Chevilly avec seulement les habits (souvent usés) portés sur eux. Les Soeurs du monastère Saint-Michel puisent dans leurs réserves vestimentaires pour mieux vêtir les petites réfugiées. Des personnes charitables font des dons généreux, telle l’épouse du premier ministre belge, Mme Berryer, qui offre lors de sa visite des camisoles aux filles. Celles-ci sont mises à contribution pour tricoter des bas et des chaussettes. L’entretien et le renouvellement des chaussures devenant préoccupant, un cordonnier est employé à demeure à la colonie des garçons, rejoint ensuite par quatre sabotiers, qui fabriquent des sabots pour les deux colonies de Chevilly et celle de Grignon. Le gouvernement belge fournit de l’habillement, notamment des blouses pour les filles et des costumes bleus quasi-militaires pour les garçons. Diverses oeuvres françaises, belges, anglaises et américaines font des dons en vêtements et en argent, répartis dans toutes les colonies. Celles-ci reçoivent aussi une dotation du gouvernement belge selon leurs effectifs. Leurs budgets sont complétés par l’allocation versée à chaque réfugié par l’État français. Aucune contribution n’est demandée aux parents des enfants. L’alimentation constitue un poste budgétaire important. Pour 300 personnes, il faut acheter chaque mois environ 5,1 tonnes de pain, 2,7 tonnes de pommes de terre et 0,8 tonnes de viande, 2 500 litres de bière, ... Pour réduire les frais alimentaires et donner un apprentissage agricole aux élèves, dont beaucoup sont des enfants d’agriculteurs, la colonie de garçons de Chevilly loue et cultive dès février 1917 près de 16 hectares de terres, produisant principalement des haricots et des pommes de terre. Elle achète aussi 2 chevaux, 2 vaches, 15 porcs, des poules et des lapins. La santé des enfants fait l’objet d’un soin constant et de contrôles fréquents. Les malades sont isolés et vite soignés pour éviter les risques de contagion. Un début d’épidémie de diphtérie est traité durant l’été 1915 et quelques malades atteints de la tuberculose sont soignés au sanatorium de Larue. Durant leur présence à Chevilly, les deux colonies n’ont à déplorer que 9 décès (6 enfants, un instituteur et 2 religieuses), dont 2 de la grippe espagnole en 1918. Jamais un cortège funéraire n’a été aussi long à Chevilly qu’aux obsèques de Mère Xavier le 6 novembre 1916, avec toute la communauté belge d’environ 500 personnes ! Un aumônier flamand s’occupe des garçons et des filles. Tous participent à la vie religieuse locale. La fête nationale belge, le 21 juillet, est célébrée avec des discours patriotiques, l’hymne national belge, La Brabançonne, et des manoeuvres militaires effectuées par les grands garçons. L’enseignement donné aux petits exilés insiste sur l’amour de leur Patrie meurtrie par la guerre et les prépare à être de futurs citoyens bilingues et des soldats exemplaires. Des démonstrations patriotiques sont aussi faites lors des visites de personnalités belges, dont celle de la duchesse de Vendôme, soeur du roi Albert 1er, le 15 décembre 1915. Le 6 décembre, à la Saint-Nicolas, les enfants reçoivent de petits cadeaux et des friandises (des spéculoos en 1915, remplacés en 1916 par du chocolat et des oranges). Le seul incident à déplorer est le cambriolage de cellules de spiritains début juin 1916 par 5 jeunes vauriens mutés ensuite. L’arrivée en décembre 1917 d’une vingtaine de petits Wallons évacués de Belgique occupée pose des problèmes d’intégration dans une colonie de garçons flamands. L’offensive allemande sur la Marne lancée fin mai 1918 entraîne l’évacuation en juin et juillet d’une grande partie des enfants vers le Sud, les garçons aux Mées près de Sisteron et les filles à Saint-Pandelon à côté de Dax ; ils reviennent à Chevilly par groupes échelonnés jusqu’à la fin de l’année. Entretemps, l’Armistice tant attendu a enfin eu lieu le 11 novembre. Le retour des exilés en Belgique demande encore un peu de patience, le temps de l’organiser. Il s’effectue par départs successifs de février jusqu’au 6 mai 1919, après presque 4 ans d’exil à Chevilly. La joie des retrouvailles familiales n’est pas le lot de tous les enfants ; certains ont eu leurs pères tués au combat ; d’autres doivent entrer en orphelinat, n’ayant plus de familles. Avant de quitter Chevilly, une jeune fille écrit au ministre de l’Intérieur belge, M. Berryer, pour lui exprimer, au nom de la colonie des filles, toute sa reconnaissance pour avoir si bien pris soin des enfants de l’Yser.

Marc Ellenberger, archiviste municipal

 

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